mercredi 20 novembre 2013

un rire minuscule




C’était en novembre. Un après-midi froid et lumineux. C’était à quelques kilomètres de Vesoul. Il y avait une voiture blanche garé sur le bas côté d’une route. Il y avait aussi un jeune homme qui fumait une cigarette. Il faisait des ronds de fumée. Un jeune homme qui regardait la route déserte. On entendait des cris de corbeaux qui se chamaillaient à la cime de vieux sapins et aussi le bruit féroce d’une tronçonneuse dans le lointain. Le jeune homme s’appelait Dany. Dany ne savait pas trop pourquoi il était revenu mais le jeune homme  se trouvait là. Bel et bien là. Au même endroit. Une des rares routes de Haute-Saône où le taux d’accident automobile n’affolait pas les statistiques. Ici on voyait surtout circuler des tracteurs et de vieilles mobylettes. Une petite route de campagne légèrement en pente qui montait vers un vieux calvaire à travers bois et pâtures. Un endroit surtout fréquenté par les psychopathes dépressifs en hiver et les jeunes couples d’amoureux au printemps. Dany, tout en fumant,  repensait à ce qui lui était arrivé, il y a quelques mois. Le film de son souvenir défilait devant ses yeux. Il  roulait au petit bonheur quand sa voiture avait finit par déboucher dans ce coin-là.    C’était arrivé  un après-midi d’automne, un jour où Dany étrennait son permis de conduire tout neuf avec la Peugeot de son père.
Çà avait surgit de nul part. C’était arrivé tout d’un coup. Çà avait traversé la route juste devant ses roues. Dany n’avait même pas freiné mais donné un brusque coup de volant pour l’éviter.  La voiture était comme on dit parti dans le décor. A moitié renversée dans le fossé, elle s’était méchamment cabossée contre un vieux muret de pierres. Dany s’en était tiré avec une grosse frayeur et de petites égratignures. La voiture avait moins eut de chance.
Dany s’en souvenait parfaitement. Çà ressemblait à un chat ou à une fillette. Un peu au deux. Si c’était un chat, il courait debout sur ses pattes arrières. Et si c’était une fillette, elle était très petite et avait de grandes oreilles pointues. Dany se souvenait que çà avait les yeux verts. Çà l’avait regardé juste une fraction de seconde avant de se faufiler dans les fourrés de l’autre côté de la route.
Quand il avait ouvert la portière et s’était extirpé de la voiture accidentée, Dany avait les jambes molles, les  mains tremblantes et le cœur tambourinant. Il avait un peu titubé en marchant sur le goudron de la route et là il avait entendu quelque chose.   Dany en était presque certain.  Il avait entendu rire. Pas un rire tonitruant, rien de très sonore mais il l’aurait juré, on riait. Un petit rire moqueur.


Depuis l’accident, Dany n’avait pas cessé de repenser à ce rire minuscule. Ce rire l’obsédait. Qui pouvait rire d’un accident ? C’est çà qu’il se demandait. C’est pour çà qu’il était revenu. Pour çà qu’il fumait sur une route déserte. En espérant trouver une réponse. Mais est-ce que les rires ont une réponse ? Quand son père lui avait demandé comment il s’était débrouillé pour bousiller sa Peugeot sur une route droite à soixante à l’heure et sans la moindre circulation. Dany n’avait pas bien sut lui répondre. Faut se mettre à sa place. Difficile de dire que c’était la faute d’une fillette avec des oreilles de chat ! Même si on n’a pas d’autre explication, une comme çà, on la garde pour soi. On ne va pas la crier sur les toits. Personne n’a très envie de passer pour un zinzin aux yeux de ses contemporains. Apercevoir une fillette avec des oreilles de chat quand on est ivre ou drogué passe encore. Mais quand on est dans son état normal c’est un tantinet inquiétant. Dany avait lutté pour ne plus y penser mais il n’y était pas arrivé. Il avait beau faire, il ne pouvait s’empêcher de penser que c’était cette apparition de gamine féline qui avait rigolé. Mais quoi ? Qu’est-ce qu’il croyait ? Qu’en revenant sur cette route, il allait la revoir ? Peut-être même l’attraper ? Tout cela frisait le ridicule. Oui, au bout d’un moment Dany a pensé c’était sans doute un peu stupide d’être revenu. Alors il s’est décidé à repartir. Sans réponse. Il a écrasé son mégot sur le goudron.
Dany se dirigeait vers sa voiture. Une Peugeot blanche qu’il avait acheté d’occasion. Dany n’a pas comprit tout de suite. Il regardait la voiture blanche. Très lentement d’abord, elle s’est mise à reculer. A glisser inexorablement en marche arrière sur la petite route en pente. Pourtant il était certain d’avoir serré le frein à main ! Quand Dany s’est enfin mis à courir, c’était bien trop tard. La voiture avait déjà prit de la vitesse. Essoufflé, effaré Dany l’a regardé  filer à toute allure  vers un gros poteau électrique. Un de ces affreux piliers en bêton. On avait l’impression que la voiture blanche le visait. Elle l’a percuté de plein fouet. Un baiser de la mort !  Sous le choc le poteau a été arraché de son socle et la voiture a finit sa course folle dans un champ de patates. Elle avait l’air d’une épave. Et là, Dany a entendu rire. Un petit rire moqueur.

3 commentaires:

Isa Noel Joyeux a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Isa Noel Joyeux a dit…

Venir régulièrement sur votre blog, lire vos contes... sont des plaisirs à chaque fois renouvellés, un bol d'air frais très apaisant, un retour à l'essentiel. Merci pour tout ce que vous nous offrez !

le Féericologue a dit…

merci Isa pour ces douces paroles ... et je suis sincèrement heureux que mes bricoleries de féericologue vous plaisent.