dimanche 23 juin 2013

Fée du ruisseau




Ce jour-là, la météo faisait grise mine. Il tombait des gouttes. Pourtant madame Bourquin s’était tout de même décidé à partir faire un petit tour dans les bois. Elle en avait plus qu’assez de rester cloitré chez elle. Quinze jours au moins que le froid l’avait dissuadé d’aller faire une promenade. Cette année-là le printemps peinait à s’installer. Le calendrier affichait fin avril mais les coucous et les anémones commençaient tout juste à tapisser les sous-bois.
Chaussée de grandes bottes en caoutchouc rouges, Madame Bourquin était heureuse de retrouver sa forêt. Il lui venait presque l’envie de chanter mais en fait elle avait surtout  lâché quelques jurons démodés en découvrant des canettes de bières abandonnées au bord de son chemin. En maugréant, elle les avait consciencieusement ramassés et fourrés dans un sac plastique qu’elle emportait toujours avec elle quand elle partait en promenade.    Ce n’était pas pour autant qu’elle se proclamait écologiste, non mais madame Bourquin  trouvait  que jeter ainsi des détritus se montrait très malpoli vis-à-vis de la beauté forestière.
Il pleuvait mais pas beaucoup. Elle se sentait revivre. Au gré de sa balade, Madame Bourquin s’arrêtait ici où là pour observer les premiers bourgeons où s’accrochaient de fines  gouttelettes transparentes. En contemplant ces petites merveilles toute simples elle se sentait heureuse. Elle marchait depuis une demi-heure quand l’envie lui vint de descendre jusqu’au ruisseau.  Le petit cours d’eau  serpentait en contrebas du sentier.  Madame Bourquin est descendu prudemment. En faisant craquer les branches mortes et en prenant bien garde de ne pas glisser sur les feuilles humides. A presque soixante-dix ans  elle restait  toujours intrépide.  La partie du bois où elle s’aventurait maintenant  se composait surtout de vieux arbres moussus, poilus. Des grands feuillus étranges à l’écorce verte. Plus elle s’approchait et plus le chant du ruisseau l’appelait.  Il chuchotait « venez venez vous ne serez pas déçut. Venez Béatrice. »
Il n’y avait plus beaucoup de gens aujourd’hui qui l’appelait Béatrice. A bien y réfléchir c’était tout de même un peu curieux que le petit ruisseau connaisse son prénom. Cette idée la fit sourire, Béatrice Bourquin avait toujours eut l’esprit fantasque. S’imaginer que le ruisseau lui parlait faisait partie des petites fantaisies qu’elle s’accordait. A son âge, elle pouvait se le permettre.
Béatrice se trouvait à quelques mètres des berges du ruisseau quand elle eut comme une hallucination. Elle vit très nettement une chose délicieusement jolie mais totalement incroyable. Béatrice Bourquin s’était arrêté de marcher. Et aussi presque arrêté de respirer.
Madame Bourquin regardait le ruisseau d’un air totalement désorienté. Elle n’arrivait pas à en croire ses yeux. Là-bas, droit devant elle. Il y avait quelque chose dans l’eau. Quelque chose qui s’agitait. Qui bougeait comme une chose réelle. Une chose qui pourtant n’aurait pas dut être vrai.  Elle a plusieurs fois cligné des yeux. Et puis, elle s’est tout de même décidée à s’approcher. Encore plus doucement, encore plus prudemment qu’auparavant. Là, dans l’eau, juste en dessous d’une petite cascade, elle a vu… une fille qui se baignait. Qui faisait sa toilette dans l’eau écumeuse et glacée. Oh ! Mais pas n’importe quelle fille. Une petite. Une toute petite. Ah ! Çà c’est sûr ce n’était pas de la fille ordinaire. Pas de celle qu’elle croisait à la boulangerie ou chez le boucher. C’était une fille… verte.  Du vert tendre comme la couleur des jeunes orties. Madame Bourquin avait toujours du mal à croire ce qu’elle voyait. Faut se mettre à sa place. Ce n’est quand même pas tout les jours qu’on croise une fille verte qui en plus se baigne toute nue dans un ruisseau.
Près de la cascade, la créature se débarbouillait à grandes éclaboussures.  La fille verte se frottait les pieds en louchant un peu. A un moment elle s’est mise à chanter. La baigneuse ne s’était toujours pas rendu compte que madame Bourquin l’observait depuis un bon quart d’heure. Son chant très doux se mélangeait à celui du ruisseau.  A peine plus grande qu’une fourchette, cette fille verte était vraiment jolie. Elle coiffait ses longs cheveux. Des cheveux noirs comme du charbon. Madame Bourquin éprouvait une telle fascination qu’elle s’est approchée encore un peu. Juste un peu. Il y eut un gros craquement la fille verte s’est tourné vers elle et lui a jeté un regard féroce. Elle s’est redressée Et  dix fois plus rapide qu’une grenouille, elle a plongé dans les profondeurs du ruisseau !
Madame Bourquin est resté là, toujours éberluée. Un peu sonné par ce qu’elle venait de surprendre. Sur un petit rocher, tout près de l’endroit où la fille se baignait,  il y avait l’empreinte humide d’un pied. Une minuscule empreinte parfaitement dessinée où l’on pouvait voir six orteils...

Béatrice a tout de suite comprit qu’elle ne pourrait jamais raconter son aventure. Tout le monde aurait pensé qu’elle devenait gaga. De toute façons, à la réflexion, elle n’avait pas tant envie que çà d’en parler. A moi, elle a tout-de-même finit par me le raconter. Un soir de l’hiver dernier, elle m’a dit « tiens vous qu’aimer les histoires, bin moi  j’en aie vécu une que vous n’allez jamais croire. »
Pourtant Moi, son histoire je l’ai cru. La preuve, hier après midi, je suis descendu près de son ruisseau. En espérant que moi aussi j’aurais la chance d’  apercevoir une petite dame verte. Mais je n'ai rien vu, sauf une canette de bière vide qui flottait sur l’eau…

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